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SATIRE XI.

S’en va chez les humains crier qu’il est l’honneur,
Qu’il arrive du ciel, et que, voulant lui-même
Seul porter désormais le faix du diadème,
De lui seul il prétend qu’on reçoive la loi.
À ces discours trompeurs le monde ajoute foi.
L’innocente équité, honteusement bannie,
Trouve à peine un désert où fuir l’ignominie.
Aussitôt sur un trône éclatant de rubis
L’imposteur monte, orné de superbes habits.
La hauteur, le dédain, l’audace l’environnent ;
Et le luxe et l’orgueil de leurs mains le couronnent
Tout fier il montre alors un front plus sourcilleux :
Et le Mien et le Tien, deux frères pointilleux,
Par son ordre amenant les procès et la guerre,
En tous lieux de ce pas vont partager la terre ;
En tous lieux, sous les noms de bon droit et de tort,
Vont chez elle établir le seul droit du plus fort.
Le nouveau roi triomphe, et, sur ce droit inique,
Bâtit de vaines lois un code fantastique ;
Avant tout aux mortels prescrit de se venger,
L’un l’autre au moindre affront les force à s’égorger,
Et dans leur âme, en vain de remords combattue,
Trace en lettres de sang ces deux mots : Meurs ou tue[1].
Alors, ce fut alors, sous ce vrai Jupiter,
Qu’on vit naître ici-bas le noir siècle de fer.
Le frère au même instant s’arma contre le frère ;
Le fils trempa ses mains dans le sang de son père ;
La soif de commander enfanta des tyrans,

  1. Mots empruntés à Corneille, chez qui don Diègue dit à Rodrigue :

    Va contre un arrogant éprouver ton courage ;

    Ce n’est que dans le sang qu’on lave un tel outrage ;

    Meurs ou tue.


    (Le Cid, act. I, se. viii.)