Page:Boileau - Œuvres poétiques, édition 1872.djvu/241

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Que tout y fasse aux yeux une riante image :
On peut être à la fois et pompeux et plaisant ;
Et je hais un sublime ennuyeux et pesant.
J’aime mieux Arioste et ses fables comiques,
Que ces auteurs toujours froids et mélancoliques,
Qui dans leur sombre humeur se croiroient faire affront
Si les Grâces jamais leur déridoient le front.
SiOn diroit que pour plaire, instruit par la nature,
Homère ait à Vénus[1] dérobé sa ceinture.
Son livre est d’agrémens un fertile trésor :
Tout ce qu’il a touché se convertit en or ,
Tout reçoit dans ses mains une nouvelle grâce ;
Partout il divertit et jamais il ne lasse.
Une heureuse chaleur anime ses discours :
Il ne s’égare point en de trop longs détours.
Sans garder dans ses vers un ordre méthodique,
Son sujet de soi-même et s’arrange et s’explique ;
Tout, sans faire d’apprêts, s’y prépare aisément ;
Chaque vers, chaque mot court à l’événement.
Aimez donc ses écrits, mais d’un amour sincère,
C’est avoir profité que de savoir s’y plaire.
C’Un poëme excellent, où tout marche et se suit,
N’est pas de ces travaux qu’un caprice produit :
Il veut du temps, des soins ; et ce pénible ouvrage
Jamais d’un écolier ne fut l’apprentissage.
Mais souvent parmi nous un poëte sans art,
Qu’un beau feu quelquefois échauffa par hasard,
Enflant d’un vain orgueil son esprit chimérique,
Fièrement prend en main la trompette héroïque :
Sa muse déréglée en ses vers vagabonds,
Ne s’élève jamais que par sauts et par bonds :
Et son feu, dépourvu de sens et de lecture,

  1. Iliade, liv. XIV. (B.)