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BOILEAU.

Nos écrits sont mauvais ; les siens valent-ils mieux ?
J’entends déjà d’ici Liniére furieux
Qui m’appelle au combat sans prendre un plus long terme.
De l’encre, du papier ! dit-il ; qu’on nous enferme !
Voyons qui de nous deux, plus aisé dans ses vers,
Aura plus tôt rempli la page et le revers.
Moi donc, qui suis peu fait à ce genre d’escrime,
Je le laisse tout seul verser rime sur rime,
Et, souvent de dépit contre moi s’exerçant,
Punir de mes défauts le papier innocent.
Mais toi, qui ne crains point qu’un rimeur te noircisse,
Que fais-tu cependant seul en ton bénéfice ?
Attends-tu qu’un fermier, payant, quoiqu’un peu tard,
De ton bien pour le moins daigne te faire paît ?
Vas-tu, grand défenseur des droits de ton église,
De tes moines mutins réprimer l’entreprise ?
Crois-moi, dût Auzanet[1] t’assurer du succès.
Abbé, n’entreprends point même un juste procès.
N’imite point ces fous dont la sotte avarice
Va de ses revenus engraisser la justice ;
Qui, toujours assignant, et toujours assignés,
Souvent demeurent gueux de vingt procès gagnés.
Soutenons bien nos droits ; sot est celui qui donne.
C’est ainsi devers Caen que tout Normand raisonne.
Ce sont là les leçons dont un père manceau
Instruit son fils novice au sortir du berceau.
Mais pour toi, qui, nourri bien en deçà de l’Oise,
As sucé la vertu picarde et champenoise,
Non, non, tu n’iras point, ardent bénéficier,

  1. Auzanet, célèbre avocat au Parlement de Paris, jouissait d’un grand crédit, par l’expérience et la sagesse de ses conseils, qui lui valut le titre honorifique de Conseiller d’État. Il a laissé des ouvrages de jurisprudence fort estimés. Il mourut en 1683 dans un âge fort avancé.