Page:Boileau - Œuvres poétiques, édition 1872.djvu/300

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Qui, partageant son cours en diverses manières,
D’une rivière seule y forment vingt rivières.
Tous ses bords sont couverts de saules non plantés,
Et de noyers souvent du passant insultés.
Le village au-dessus forme un amphithéâtre :
L’habitant ne connoit ni la chaux ni le plâtre ;
Et dans le roc, qui cède et se coupe aisément,
Chacun sait de sa main creuser son logement.
La maison du seigneur, seule un peu plus ornée,
Se présente au dehors de murs environnée.
Le soleil en naissant la regarde d’abord,
Et le mont la défend des outrages du nord.
C’est là, cher Lamoignon, que mon esprit tranquille
Met à profit les jours que la Parque me file.
Ici, dans un vallon bornant tous mes désirs,
J’achète à peu de frais de solides plaisirs.
Tantôt, un livre en main, errant dans les prairies,
J’occupe ma raison d’utiles rêveries :
Tantôt, cherchant la fin d’un vers que je construi,
Je trouve au coin d’un bois le mot qui m’avoit fui ;
Quelquefois, aux appas d’un hameçon perfide,
J’amorce en badinant le poisson trop avide ;
Ou d’un plomb qui suit l’œil, et part avec l’éclair,
Je vais faire la guerre aux habitans de l’air.
Une table au retour, propre et non magnifique,
Nous présente un repas agréable et rustique :
Là, sans s’assujettir aux dogmes du Broussain[1],
Tout ce qu’on boit est bon, tout ce qu’on mange est sain ;
La maison le fournit, la fermière l’ordonne ;
Et mieux que Bergerat[2] l’appétit l’assaisonne.

  1. René Brulart, comte du Broussin, faisait partie du fameux ordre des Coteaux. Il traitait sérieusement de l’ordonnance d’un repas et dogmatisait sur la vertu des ragoûts et des sauces.
  2. Bergerat était le premier restaurateur de l’époque.