Page:Boileau - Œuvres poétiques, édition 1872.djvu/323

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Il rit du mauvais goût de tant d’hommes divers,
Et va voir l’opéra seulement pour les vers.
Voulant se redresser, soi-même on s’estropie,
Et d’un original on fait une copie.
L’ignorance vaut mieux qu’un savoir affecté.
Rien n’est beau, je reviens, que par la vérité :
C’est par elle qu’on plaît, et qu’on peut longtemps plaire.
L’esprit lasse aisément, si le cœur n’est sincère.
En vain par sa grimace un bouffon odieux
À table nous fait rire, et divertit nos yeux :
Ses bons mots ont besoin de farine et de plâtre.
Prenez-le tête à tête, ôtez-lui son théâtre ;
Ce n’est plus qu’un cœur bas, un coquin ténébreux[1];
Son visage essuyé n’a plus rien que d’affreux.
J’aime un esprit aisé qui se montre, qui s’ouvre,
Et qui plaît d’autant plus, que plus il se découvre.
Mais la seule vertu peut souffrir la clarté :
Le vice toujours sombre aime l’obscurité ;
Pour paroître au grand jour il faut qu’il se déguise ;
C’est lui qui de nos mœurs a banni la franchise.
C’Jadis l’homme vivoit au travail occupé,
Et, ne trompant jamais, n’étoit jamais trompé :
On ne connoissoit point la ruse et l’imposture ;
Le Normand même alors ignoroit le parjure ;
Aucun rhéteur encore, arrangeant le discours,
N’avoit d’un art menteur enseigné les détours.
Mais sitôt qu’aux humains, faciles à séduire,
L’abondance eut donné le loisir de se nuire,
La mollesse amena la fausse vanité.

  1. Lulli, qui adorait la bouffonnerie et aimait à jouer de méchants tours pour le plaisir de les jouer. On les lui passait, parce que ses plaisanteries amusaient. Boileau a dû en prendre de l’humeur ainsi que La Fontaine, qui ne s’est mis qu’une seule fois en colère dans sa vie contre ce même Lulli.