Page:Boileau - Œuvres poétiques, édition 1872.djvu/335

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Vous n’entendrez partout qu’injurieux brocards
Et sur vous et sur lui fondre de toutes parts.
Et« Que veut-il ? dira-t-on ; quelle fougue indiscrète
Ramène sur les rangs encor ce vain athlète ?
Quels pitoyables vers ! quel style languissant !
Malheureux, laisse en paix ton cheval vieillissant,
De peur que tout à coup, efflanqué, sans haleine,
Il ne laisse en tombant son maître sur l’arène. »
Ainsi s’expliqueront nos censeurs sourcilleux,
Et bientôt vous verrez mille auteurs pointilleux,
Pièce à pièce épluchant vos sons et vos paroles.
Interdire chez vous l’entrée aux hyperboles ;
Traiter tout noble mot de terme hasardeux,
Et dans tous vos discours, comme monstres hideux,
Huer la métaphore et la métonymie,
Grands mots que Pradon croit des termes de chimie[1]
Vous soutenir qu’un lit ne peut être effronté,
Que nommer la luxure est une impureté.
En vain contre ce flot d’aversion publique
Vous tiendrez quelque temps ferme sur la boutique ;
Vous irez à la fin, honteusement exclus,
Trouver au magasin Pyrame et Régulus[2],
Ou couvrir chez Thierry, d’une feuille encor neuve,
Les méditations de Buzée et d’Hayneuve[3] ;
Puis, en tristes lambeaux semés dans les marchés,

  1. Pradon était d’une ignorance fabuleuse. Il s’excusait de ne pas connaître la place d’une ville parce qu’il n’avait pas étudié la chronologie. Il était donc possible de supposer qu’il confondait des figures de rhétorique avec des figures de géométrie.
  2. Pyrame et Régulus sont deux tragédies de Pradon.
  3. Buzée et Hayneuve étaient deux pères jésuites, auteurs de méditations pieuses. Il parait que Thierri, le libraire de Boileau, employait à cet usage les tragédies de Pradon.