Page:Boileau - Œuvres poétiques, édition 1872.djvu/341

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Et parle quelquefois mieux qu’un prédicateur.
Sous ces arbres pourtant, de si vaines sornettes
Il n’iroit point troubler la paix de ces fauvettes,
S’il lui falloit toujours, comme moi, s’exercer,
Labourer, couper, tondre, aplanir, palisser,
Et, dans l’eau de ces puits sans relâche tirée,
De ce sable étancher la soif démesurée. »
DeAntoine, tu crois donc de nous deux, je le voi,
Que le plus occupé dans ce jardin c’est toi ?
Oh ! que tu changerois d’avis et de langage,
Si deux jours seulement, libre du jardinage,
Tout à coup devenu poëte et bel esprit,
Tu t’allois engager à polir un écrit
Qui dit, sans s’avilir, les plus petites choses ;
Fit, des plus secs chardons, des œillets et des roses ;
Et sût même aux discours de la rusticité
Donner de l’élégance et de la dignité ;
Un ouvrage, en un mot, qui, juste en tous ses termes,
Sût plaire à Daguesseau[1], sut satisfaire Termes[2] ;
Sût, dis-je, contenter, en paroissant au jour,
Ce qu’ont d’esprits plus fins et la ville et la cour !
Bientôt de ce travail revenu sec et pâle,
Et le teint plus jauni que de vingt ans de hâle,
Tu dirois, reprenant ta pelle et ton rateau :
« J’aime mieux mettre encor cent arpens au niveau,
Que d’aller follement, égaré dans les nues,

  1. Daguesseau n’avait encore que vingt-sept ans, et déjà son talent s’était fait remarquer dans les délicates fonctions d’avocat général. Il fut nommé plus tard procureur général et enfin chancelier de France, et a laissé à sa mort, en 1750, la réputation d’un savant jurisconsulte et d’un intègre magistrat.
  2. De Pardaillan de Gondrin, marquis de Termes, premier valet de chambre du roi. Saint-Simon prétend que le fils et le neveu du prince de Condé lui firent donner à Versailles une grêle de coups de bâton par des gardes-suisses, et qu’il n’en demanda aucune réparation.