Page:Boileau - Œuvres poétiques, édition 1872.djvu/374

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L’espoir d’un juste gain, consolant ma langueur,
Pourroit de ton absence adoucir la longueur.
Mais quel zèle indiscret, quel aveugle entreprise
Arme aujourd’hui ton bras en faveur d’une église ?
Où vas-tu, cher époux ? est-ce que tu me fuis ?
As-tu donc oublié tant de si douces nuits ?
Quoi ! d’un œil sans pitié vois-tu couler mes larmes ?
Au nom de nos baisers jadis si pleins de charmes,
Si mon cœur, de tout temps facile à tes désirs,
N’a jamais d’un moment différé tes plaisirs ;
Si, pour te prodiguer mes plus tendres caresses,
Je n’ai point exigé ni sermens, ni promesses,
Si toi seul à mon lit enfin eus toujours part,
Diffère au moins d’un jour ce funeste départ. »
DiEn achevant ces mots, cette amante enflammée
Sur un placet[1] voisin tombe demi-pâmée.
Son époux s’en émeut, et son cœur éperdu
Entre deux passions demeure suspendu ;
Mais enfin rappelant son audace première :
« Ma femme, lui dit-il d’une voix douce et fière,
Je ne veux point nier les solides bienfaits
Dont ton amour prodigue a comblé mes souhaits ;
Et le Rhin de ses flots ira grossir la Loire
Avant que tes faveurs sortent de ma mémoire.
Mais ne présume pas qu’en te donnant ma foi
L’hymen m’ait pour jamais asservi sous ta loi.
Si le ciel en mes mains eut mis ma destinée,
Nous aurions fui tous deux le joug de l’hyménée,
Et, sans nous opposer ces devoirs prétendus,
Nous goûterions encor des plaisirs défendus.
Cesse donc à mes yeux d’étaler un vain titre :

  1. Placet, sorte de siège qui n’a ni dos ni bras ; espèce de tabouret fort bas. Autant valait tomber par terre.