Page:Boileau - Œuvres poétiques, édition 1872.djvu/382

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La plaintive Progné de douleur en frémit,
Et, dans les bois prochains, Philomèle en gémit.
« Suis-moi, » lui dit la Nuit. L’oiseau plein d’allégresse
Reconnoît à ce ton la voix de sa maîtresse.
Il la suit : et tous deux, d’un cours précipité,
De Paris à l’instant abordent la cité ;
Là, s’élançant d’un vol que le vent favorise,
Ils montent au sommet de la fatale église.
La Nuit baisse la vue, et, du haut du clocher,
Observe les guerriers, les regarde marcher.
Elle voit le barbier qui, d’une main légère,
Tient un verre de vin qui rit dans la fougère[1] ;
Et chacun, tour à tour s’inondant de ce jus,
Célébrer, en buvant, Gilotin et Bacchus.
« Ils triomphent, dit-elle, et leur âme abusée
Se promet dans mon ombre une victoire aisée :
Mais allons ; il est temps qu’ils connoissent la Nuit. »
À ces mots, regardant le hibou qui la suit,
Elle perce les murs de la voûte sacrée ;
Jusqu’en la sacristie elle s’ouvre une entrée ;
Et, dans le ventre creux du pupitre fatal,
Va placer de ce pas le sinistre animal.
VaMais les trois champions, pleins de vin et d’audace,
Du Palais cependant passent la grande place ;
Et, suivant de Bacchus les auspices sacrés,
De l’auguste chapelle ils montent les degrés.
Ils atteignoient déjà le superbe portique
Où Ribou le libraire[2], au fond de sa boutique,
Sous vingt fidèles clefs garde et tient en dépôt

  1. On appelle verres de fougère ceux dans la composition desquels il entre des cendres de fougère. (Brossette.)
  2. Ribou avait vendu la Satire des satires, par Boursault, et d’autres
    écrits où les ouvrages de Boileau étaient critiqués.