Page:Boileau - Œuvres poétiques, édition 1872.djvu/390

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Avoit sous ses pavots appesanti mes yeux,
Quand, l’esprit enivré d’une douce fumée,
J’ai cru remplir au chœur ma place accoutumée.
Là, triomphant aux yeux des chantres impuissans,
Je bénissois le peuple, et j’avalois l’encens,
Lorsque du fond caché de notre sacristie
Une épaisse nuée à longs flots est sortie,
Qui, s’ouvrant à mes yeux, dans son bleuâtre éclat,
M’a fait voir un serpent conduit par le prélat.
Du corps de ce dragon, plein de soufre et de nitre,
Une tête sortoit en forme de pupitre,
Dont le triangle affreux, tout hérissé de crins,
Surpassoit en grosseur nos plus épais lutrins.
Animé par son guide, en sifflant il s’avance ;
Contre moi sur mon banc je le vois qui s’élance.
J’ai crié mais en vain ; et, fuyant sa fureur,
Je me suis réveillé plein de trouble et d’horreur. »
JeLe chantre s’arrêtant à cet endroit funeste,
À ses yeux effrayés laisse dire le reste.
Girot en vain l’assure, et, riant de sa peur,
Nomme sa vision l’effet d’une vapeur.
Le désolé vieillard, qui hait la raillerie,
Lui défend de parler, sort du lit en furie.
On apporte à l’instant ses somptueux habits,
Où sur l’ouate molle éclate le tabis.
D’une longue soutane il endosse la moire,
Prend ses gants violets, les marques de sa gloire ;
Et saisit, en pleurant, ce rochet qu’autrefois
Le prélat trop jaloux lui rogna de trois doigts[1].

  1. En l’absence du trésorier, le chantre était en possession de célébrer l’office avec les ornements pontificaux, de se faire encenser et de donner des bénédictions ; mais le trésorier obtint un arrêt qui lui rendit le privilège exclusif d’être encensé et qui condamna le chantre à porter un rochet plus court : toutefois le chantre fut maintenu dans