Page:Boileau - Œuvres poétiques, édition 1872.djvu/394

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Prenons du saint jeudi la brillante crécelle[1].
Suis-moi. Qu’à son lever le soleil aujourd’hui
Trouve tout le chapitre éveillé devant lui. »
Il dit. Du fond poudreux d’une armoire sacrée,
Par les mains de Girot la crécelle est tirée.
Ils sortent à l’instant, et, par d’heureux efforts,
Du lugubre instrument font crier les ressorts.
Pour augmenter l’effroi, la Discorde infernale
Monte dans le Palais, entre dans la grand’salle,
Et, du fond de cet antre, au travers de la nuit,
Fait sortir le démon du tumulte et du bruit.
Le quartier alarmé n’a plus d’yeux qui sommeillent ;
Déjà de toutes parts les chanoines s’éveillent :
L’un croit que le tonnerre est tombé sur les toits,
Et que l’église brûle une seconde fois[2];
L’autre, encore agité de vapeurs plus funèbres,
Pense être au jeudi saint, croit que l’on dit ténèbres,
Et déjà tout confus, tenant midi sonné,
En soi-même frémit de n’avoir point dîné.
EnAinsi, lorsque tout prêt à briser cent murailles
Louis, la foudre en main, abandonnant Versailles,
Au retour du soleil et des zéphyrs nouveaux.
Fait dans les champs de Mars déployer ses drapeaux ;
Au seul bruit répandu de sa marche étonnante,
Le Danube s’émeut, le Tage s’épouvante,
Bruxelle attend le coup qui la doit foudroyer
Et le Batave encore est prêt à se noyer[3].
Mais en vain dans leurs lits un juste effroi les presse

  1. Instrument dont on se sert le jeudi saint au lieu de cloches.
  2. Le toit de la Sainte-Chapelle fut brûlé en 1618.
  3. En 1672 les Hollandais, pour échapper à la conquête, avaient rompu leurs digues et inondé tout le pays. Ce courageux sacrifice les sauva de l’invasion.