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SATIRE I.

1660.

ADIEUX D’UN POËTE À LA VILLE DE PARIS[1].


Damon[2], ce grand auteur dont la muse fertile
Amusa si longtemps et la cour et la ville,
Mais qui, n’étant vêtu que de simple bureau,
Passe l’été sans linge, et l’hiver sans manteau,
Et de qui le cœur sec et la mine affamée
N’en sont pas mieux refaits pour tant de renommée ;
Las de perdre en rimant et sa peine et son bien,
D’emprunter en tous lieux, et de ne gagner rien,
Sans habits, sans argent, ne sachant plus que faire,
Vient de s’enfuir, chargé de sa seule misère ;
Et, bien loin des sergens, des clercs et du palais,

  1. Cette pièce est le début satirique de Boileau. Il la commença en 1660, à l’âge de vingt-quatre ans ; elle comprenait d’abord la description des embarras de Paris, que le poëte en détacha et qui forme aujourd’hui la sixième satire.
  2. Cassandre, le traducteur de la Rhétorique d’Aristote. Son esprit atrabilaire et son caractère nuisirent au succès de ses œuvres. Il vécut fort gêné et mourut en 1673, maugréant contre les hommes et même contre Dieu.