Page:Boileau - Œuvres poétiques, édition 1872.djvu/97

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

De chefs-d’œuvre des cieux, de beautés sans pareilles.
Avec tous ces beaux mots, souvent mis au hasard,
Je pourrois aisément, sans génie et sans art,
Et transportant cent fois et le nom et le verbe,
Dans mes vers recousus mettre en pièces Malherbe.
Mais mon esprit, tremblant sur le choix de ses mots.
N’en dira jamais un, s’il ne tombe à propos,
Et ne sauroit souffrir qu’une phrase insipide
Vienne à la fin d’un vers remplir la place vide ;
Ainsi recommençant un ouvrage vingt fois,
Si j’écris quatre mots, j’en effacerai trois.
Si Maudit soit le premier dont la verve insensée
Dans les bornes d’un vers renferma sa pensée.
Et, donnant à ses mots une étroite prison.
Voulut avec la rime enchaîner la raison !
Sans ce métier fatal au repos de ma vie,
Mes jours, pleins de loisir, couleroient sans envie.
Je n’aurois qu’à chanter, rire, boire d’autant,
Et, comme un gras chanoine, à mon aise et content,
Passer tranquillement, sans souci, sans affaire,
La nuit à bien dormir, et le jour à rien faire.
Mon cœur, exempt de soins, libre de passion,
Sait donner une borne à son ambition ;
Et, fuyant des grandeurs la présence importune.
Je ne vais point au Louvre adorer la fortune
Et je serois heureux si, pour me consumer,
Un destin envieux ne m’avoit fait rimer.
UnMais depuis le moment que cette frénésie
De ses noires vapeurs troubla ma fantaisie,
Et qu’un démon jaloux de mon contentement
M’inspira le dessein d’écrire poliment.
Tous les jours malgré moi, cloué sur un ouvrage,
Retouchant un endroit, effaçant une page,
Enfin passant ma vie en ce triste métier.