Page:Boissier - Cicéron et ses amis.djvu/118

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connus. Ce passage semble vraiment animé d’un souffle chrétien. On dirait qu’il a été écrit par un homme à qui les livres saints étaient familiers et « qui déjà s’était assis, avec le prophète, sur les ruines des villes désolées. » Cela est si vrai que saint Ambroise, voulant écrire une lettre de consolation, a imité celle-ci, et qu’elle s’est trouvée tout naturellement chrétienne. La réponse de Cicéron n’est guère moins belle. On y trouve la peinture la plus touchante de sa tristesse et de son isolement. Après avoir décrit la douleur qu’il a ressentie à la chute de la république, il ajoute : « Ma fille au moins me restait. J’avais où me retirer et me reposer. Le charme de son entretien me faisait oublier tous mes soucis et tous mes chagrins ; mais l’affreuse blessure que j’ai reçue en la perdant a rouvert dans mon cœur toutes celles que j’y croyais fermées. Autrefois je me réfugiais dans ma famille pour oublier les malheurs de l’État, mais aujourd’hui l’État a-t-il quelque remède à m’offrir pour me faire oublier les malheurs de ma famille ? Je suis obligé de fuir à la fois ma maison et le forum, car ma maison ne me console plus des peines que me cause la république, et la république ne peut pas remplir le vide que je trouve dans ma maison[1]. »

Cette triste destinée de Tullia et la douleur que sa mort causa à son père nous attirent vers elle. En la voyant tant regrettée, nous souhaiterions la mieux connaître. Malheureusement il ne reste plus une seule lettre d’elle dans la correspondance de Cicéron ; quand il lui prodigue des compliments sur son esprit, nous sommes réduits à le croire sur parole, et les compliments d’un père sont toujours un peu suspects. D’après ce qu’on en sait, on n’a pas trop de peine à admettre que ce fut une femme distinguée, lectissima femina, c’est

  1. Ad fam., IV, 6.