Page:Boissier - Cicéron et ses amis.djvu/160

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d’autres plus délicats, plus appréciés encore. C’est à lui que Cicéron confiait ce qu’il avait de plus cher au monde, sa gloire littéraire. Il lui communiquait ses ouvrages dès qu’il les avait écrits, il les corrigeait d’après ses conseils, il attendait sa décision pour les publier. Aussi le traitait-il comme un ami devant lequel on se met à l’aise et l’on se découvre tout entier. Quoiqu’il tint beaucoup à-ce qu’on prît au sérieux son éloquence, quand il était sûr de n’être entendu que d’Atticus, il ne se faisait aucun scrupule de plaisanter de lui-même et de ses ouvrages. Il l’introduisait sans façon dans tous les secrets du métier, et lui montrait la recette de ses effets les plus applaudis. « Cette fois, lui disait-il gaiement, j’ai employé toute la boîte à essences d’Isocrate et tous les coffrets de ses disciples[1]. » Il n’y a rien de plus curieux que la manière dont il lui raconte un jour un de ses plus grands succès de tribune. Il s’agissait de célébrer le grand consulat, sujet dans lequel, comme on sait, il était inépuisable. Ce jour-là, il avait une raison de parler avec plus d’éclat que de coutume : Pompée était présent ; or, Pompée avait la faiblesse d’être jaloux de la gloire de Cicéron. L’occasion était bonne de le faire enrager ; Cicéron se garda bien de la négliger : « Quand mon tour fut venu de parler, écrit-il à Atticus, bon Dieu ! comme je me donnai carrière ! Quel plaisir je pris à me combler d’éloges en présence de Pompée, qui ne m’avait pas entendu vanter mon consulat ! Si jamais j’appelai à mon aide périodes, enthymèmes, métaphores et toutes les autres figures de la rhétorique, ce fut bien alors. Je ne parlais plus, je criais, car il s’agissait de mes lieux communs ordinaires, la sagesse du sénat, la bonne volonté des chevaliers, l’union de toute l’Italie, les restes de la conjuration étouffés, l’abondance et la

  1. Ad Att., II, 1.