Page:Boissier - Cicéron et ses amis.djvu/27

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas de femme qui aime plus Paris. Une fois qu’elle y est revenue, elle est tout entière aux charmes de la vie mondaine. Ses lettres en sont pleines. Elle se livre si facilement aux impressions qu’elle reçoit qu’on peut presque dire, en les lisant, quelles lectures elle vient de faire, à quels entretiens elle vient d’assister, et de quels salons elle sort. On voit bien, lorsqu’elle répète si agréablement à sa fille les commérages de la cour, qu’elle vient d’entretenir la gracieuse, la spirituelle Mme de Coulanges, qui les lui a racontés. Quand elle parle d’une façon si attendrissante de Turenne, c’est qu’elle quitte l’hôtel de Bouillon où la famille du prince pleure avec sa mort sa fortune ébranlée. Elle se prêche, elle se sermonne elle-même avec Nicole, mais ce n’est pas pour longtemps. Que son fils survienne et lui raconte quelqu’une de ces aventures galantes dont il a été le héros ou la victime, la voilà qui se jette hardiment dans les récits les plus scabreux, sauf à dire un peu plus loin : « Monsieur Nicole, ayez pitié de nous ! » Tout se tourne en morale, quand elle vient de visiter La Rochefoucault ; elle fait des leçons à propos de tout, elle voit partout quelque image de la vie et du cœur humain, jusque dans ce bouillon de vipère qu’on va servir à Mme de La Fayette souffrante. Cette vipère qu’on ouvre, qu’on écorche, et qui remue toujours, ne ressemble-t-elle pas aux vieilles passions ? « Que ne leur fait-on pas ? On leur dit des injures, des rudesses, des cruautés, des mépris, des querelles, des plaintes, des rages, et toujours elles remuent. On ne saurait en voir la fin. On croit que quand on leur arrache le cœur, c’en est fait, et qu’on n’en entendra plus parler. Pas du tout : elles sont toujours en vie ; elles remuent toujours. » Cette facilité qu’elle a d’être émue, qui lui fait adopter si vite les sentiments des gens qu’elle fréquente, lui fait sentir aussi le contrecoup des grands événements auxquels