Page:Boissier - Cicéron et ses amis.djvu/316

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sincère et convaincu quand il les attaquait. Homme d’esprit et de plaisir, indifférent aux principes, sceptique sur les opinions, habitué à vivre au milieu d’un monde léger et poli, il était difficile que Caton lui semblât autre chose qu’un fanatique et qu’un brutal. Comme il n’y avait rien qu’il mît au-dessus de la distinction des sentiments et de la politesse des manières, un vice élégant lui convenait mieux qu’une vertu sauvage. Caton au contraire, quoiqu’il ne fût pas resté étranger à la culture des lettres et à l’esprit du monde, n’en était pas moins demeuré au fond un vieux Romain. Malgré leurs efforts, le monde et les lettres n’avaient pas pu déraciner tout à fait cette brusquerie ou, si l’on veut, cette brutalité de formes qu’il tenait de son tempérament et de sa race, et l’on en retrouve quelque chose jusque dans ses plus belles actions. Pour n’en citer qu’un exemple, Plutarque, dans l’admirable récit qu’il a fait de ses derniers moments, raconte que, comme un esclave refusait, par affection pour Caton, de lui donner son épée, il lui asséna un furieux coup de poing dont sa main fut ensanglantée. Aux yeux d’un délicat comme César, ce coup de poing révélait une nature vulgaire, et je crains bien qu’il ne l’ait empêché de comprendre la beauté de cette mort. Le même contraste ou plutôt les mêmes antipathies se retrouvent dans toute leur conduite privée. Tandis que César avait pour maxime qu’il faut tout pardonner à ses amis, et qu’il poussait la complaisance jusqu’à fermer les yeux sur leurs trahisons, Caton était trop difficile et trop regardant pour les siens. Il n’hésita point à se brouiller, à Chypre, avec Munatius, le compagnon de toute sa vie, en lui témoignant une méfiance blessante. Dans son ménage, il était sans doute un modèle d’honneur et de fidélité ; cependant il ne sut pas toujours conserver pour sa femme le respect et les égards qu’elle méritait. On sait comment il la céda sans façon à Hortensius, qui la