Page:Boissier - Cicéron et ses amis.djvu/71

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quand on lit sa correspondance à cette époque, et la lire avec précaution. Jamais il n’a été plus irrésolu. Il change d’opinion chaque jour, il attaque et il défend tous les partis, en sorte qu’en réunissant avec adresse tous ces mots échappés à ces mécontentements et à ces incertitudes, on peut trouver dans ses lettres de quoi faire le procès à tout le monde. Ce ne sont là que des boutades d’un esprit inquiet et effrayé dont il ne faut abuser ni contre les autres ni contre lui-même. Ici, par exemple, quand il prétend que la république n’a rien à faire dans le débat, il ne dit pas ce qu’il pense réellement. Ce n’est qu’un de ces prétextes qu’il imagine pour justifier ses hésitations aux yeux de ses amis et aux siens. Il est si rare d’être tout à fait sincère, je ne dis pas seulement avec les autres, mais avec soi ! On est si ingénieux à se prouver qu’on a mille raisons pour faire ce qu’on fait sans raison, par intérêt ou par caprice ! Mais quand Cicéron veut être franc, quand il n’a plus aucun motif de se tromper lui-même ou d’abuser les autres, il parle d’une autre façon. Alors la cause de Pompée devient bien réellement celle de la justice et du droit, celle des honnêtes gens et de la liberté. Sans doute Pompée avait rendu de bien mauvais services à la république avant d’être amené par les circonstances à la défendre. On ne pouvait pas se fier entièrement à lui, et l’on redoutait son ambition. Dans son camp, il affectait des airs de souverain, il avait des flatteurs et des ministres. « C’est un petit Sylla, dit Cicéron, qui rêve aussi à des proscriptions, sullaturit, proscripturit[1]. » Le parti républicain aurait certainement pris un autre défenseur, s’il avait été libre de choisir ; mais au moment où César rassembla ses troupes, ce parti, qui n’avait ni soldats ni généraux, fut bien forcé d’accepter

  1. Ad Att., III, 10.