Page:Boissier - Cicéron et ses amis.djvu/75

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ment guéri par la liberté que par le despotisme ? N’avait-on pas vu, par des exemples récents, qu’un grand courant d’opinion populaire suffisait pour renverser toutes ces résistances aristocratiques ? Les lois offraient au peuple le moyen de reconquérir son influence, s’il l’avait énergiquement voulu. Avec la liberté des suffrages et celle de la tribune, avec l’intercession des tribuns et la force invincible du nombre, il devait toujours finir par être le maître. S’il laissait à d’autres le pouvoir, c’était sa faute, et il méritait l’abaissement où le tenait la noblesse, puisqu’il ne faisait pas d’efforts pour en sortir. Cicéron avait peu d’estime pour le peuple de son temps ; il le croyait de sa nature indifférent et apathique. « Il ne demande rien, disait-il, il ne souhaite rien[1] » ; et toutes les fois qu’il le voyait s’agiter sur la place publique, il soupçonnait que c’étaient les largesses de quelques ambitieux qui faisaient ce miracle. Il n’était donc pas porté à croire qu’il fallut lui accorder des droits nouveaux quand il le voyait si peu ou si mal user de ses droits anciens. Aussi ne regardait-il pas comme sérieux le prétexte invoqué par César pour prendre les armes. Jamais il ne consentit à voir en lui le successeur des Gracques venant émanciper la plèbe opprimée ; jamais La guerre qui se préparait ne lui parut être le renouvellement des anciennes luttes, dont l’histoire romaine est pleine, entre le peuple et l’aristocratie. En effet, une réunion de grands seigneurs ruinés, les Dolabella, les Antoine, les Curion, marchant sous la conduite de celui qui se glorifiait d’être le fils des dieux et des rois, méritait peu le nom de parti populaire, et il s’agissait d’autre chose que de défendre les privilèges de la naissance dans un camp où s’étaient rendus tant de chevaliers et de plébéiens, et qui comptait parmi ses

  1. Pro Sext., 49.