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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

tain nombre de mobiles de la Seine, et l’effet moral de ces deuils va se faire sentir rapidement.

Mais, ma pauvre chère femme, qu’est-ce que cela ? qu’est-ce que cette tristesse, réelle pourtant, auprès du coup de massue qui brise notre seule chance de salut !

À l’heure où je l’apprenais, tu la savais déjà, cette reddition de Metz, et il n’est pas probable que les vainqueurs t’aient caché leur joie.

C’est qu’ils peuvent bien être fiers. Acquérir d’un coup plus de cent cinquante mille prisonniers, quatre maréchaux de France, Metz la jamais prise, et aussi cette certitude que nous sommes à leur merci !… Car pour moi, c’est la fin, c’est la perte de toute espérance. Quelque chose nous restait quand nous pouvions, de derrière nos murailles, compter sur l’armée de Bazaine. On ne comprenait pas trop qu’elle fît si peu de bruit, mais enfin elle vivait, on pouvait supposer que le maréchal méditait quelque grand coup. Telle qu’elle était, dans son inaction même, elle retenait et paralysait une formidable armée. Et voilà que tout s’écroule !… Jamais un désastre pareil n’a submergé un pays ; nous n’avons pas même une consolation d’orgueil, pas même l’honneur de la résistance…

On doit vous donner quelque explication de ce qui s’est passé à Metz ; ici, aucune ne nous est parvenue, de sorte que le mystère ajoute à l’horreur du fait.