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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

biscuit, hier. Voulez-vous me donner du pain ? j’ai des papiers de chez moi. »

Je n’avais jamais vu anxiété pareille se peindre sur une figure. Le pauvre homme regardait maman presque avec défiance, il paraissait prêt à reprendre sa course, à tenter un dernier effort s’il était repoussé, et pourtant ses yeux semblaient demander la vie en demandant ce morceau de pain.

« Nous ferons ce que nous pourrons pour vous sauver, dit maman, que Dieu nous aide ! Comme ma maison est pleine de Prussiens, il faut une grande prudence.

« Remettez-vous sous vos feuilles jusqu’à ce que l’une de nous, ou peut-être un homme âgé qui porte une casquette cirée, vous vienne chercher. Vous ferez ce qu’on vous dira. Vous, enfants, pensez bien ceci : ne dites pas un mot à personne, ne parlez même pas entre vous de ce que vous venez de voir. Si les Prussiens soupçonnaient que nous cachons un fugitif, celui-ci serait, et nous en même temps, dans le plus grand danger. »

Maman pensait à tout et n’avait pas l’air troublé ; moi, j’avais la réaction de mon saisissement, et je pouvais à peine marcher. Les enfants se conduisirent très-bien, ils demandèrent seulement tout bas pourquoi maman n’avait pas fait conter à l’homme toute son histoire. On leur dit que le plus pressé était de le sauver ; un Allemand aurait pu survenir et l’aper-