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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

passage sur la route ; les chevaux requis s’abattent, à bout de forces ; on les dételle et on les laisse mourir au bord du fossé.

Des hussards de Bismarck nous arrivent après trois pelotons de uhlans, qui n’ont pas paru contents de nos vivres. Nous essayons de satisfaire ceux-ci en leur donnant du vin cacheté, outre le pain et le lard. Ils repartent, mais aussitôt Louis accourt de l’écurie nous dire qu’ils emmènent les deux chevaux de voiture. Adolphe et M. B… se précipitent vers la basse-cour et voient, en effet, partir nos deux belles bêtes, plus un jeune et fort cheval du fermier. Pendant que ces messieurs étaient à la basse-cour, je descendais au perron, recevoir trois officiers qui arrivaient au galop. Mais ils se sont contentés de bien examiner le château et sont repartis après avoir salué.

Ce n’est pas vivre, je t’assure, et mon pauvre Adolphe est encore plus abattu que moi. C’est la ruine, et la ruine complète. Les fermiers ne se relèveront jamais de là ; encore Dieu sait si nous aurons la vie sauve !

La présence de M. B… est un soulagement ; on travaille à se donner du courage les uns pour les autres. Cette lettre, à laquelle je viens ajouter un mot de temps en temps, me fait aussi quelque bien. Pauvre lettre ! elle me semble le dernier lien avec la famille et le monde tels qu’ils étaient avant cet horrible cauchemar, tels qu’ils sont encore peut-

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