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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

C’est affreux ! Et ma tante avec vous !… Quand j’ai eu la faiblesse de vous parler de ma détresse morale et matérielle, je n’avais jamais pensé que ma tante voulût… osât… C’est affreux !… »

Le pauvre garçon me parut si malheureux qu’un grand courage (celui du désespoir peut-être) me vint au cœur :

« S’il y a bataille, Roland, eh bien, nous serons ensemble. Laissez-nous entrer et ne vous faites pas trop de chagrin. »

C’était héroïque, n’est-ce pas ? Cela a remonté un peu mes deux pauvres hommes ; mais pour moi, je ne suis pas, au fond, remontée du tout. Qu’allions-nous faire dans cette galère !

Je me sens trop effrayée pour dormir et je vais t’écrire encore, en l’abrégeant beaucoup, le récit que Roland nous a fait au dîner.

Sa situation, à l’isolement près, avait été passable jusqu’au 9 novembre, jour de la bataille de Coulmiers. Il avait logé des soldats disciplinés, des officiers instruits ; on avait, il est vrai, bu son vin, pris son foin, porté ses habits, mais tout cela s’était fait avec ordre et même avec certains égards. Si pillé qu’il fut, Roland trouvait moyen d’être content et d’excuser l’armée prussienne[1]. Cela changea avec

  1. Les réquisitions avaient cependant été lourdes. Chevilly, village de 1,200 habitants, a fourni 600,000 francs en argent ou en denrées.