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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

où je me suis trouvé sur un lit inconnu, dans une petite salle à manger sombre, où pourtant quelque chose de blanc brillait en face de moi dans une espèce de cadre accroché au mur. Le travail d’esprit auquel je me suis livré pour deviner ce que ce pouvait être a manqué me faire évanouir une seconde fois ; aussi pour vous épargner pareil sort, chère maman, je vous apprendrai tout de suite que j’étais chez un dentiste, et que c’étaient les produits de son art, cinq râteliers ou parties de râteliers, qui me regardaient fixement du milieu de leur velours fané. Heureusement qu’aucun d’eux ne faisait semblant de mâcher, je crois que j’en serais devenu fou.

Mon hôte est venu à moi, un brave petit homme tout rond, il était autrefois médecin ; mais, trouvant déplorable l’habitude des clients de payer le plus tard et même le plus rarement possible, il s’est fait dentiste pour toucher son argent de suite et sans difficultés. Il a huit enfants qu’il a fait partir avec sa femme pour la Bretagne : il est resté seulement pour être utile et n’a eu de cesse que quand ses lits ont été occupés. Ses études premières lui servent, et son talent n’est pas à dédaigner, surtout en un moment où les chirurgiens sont si rares.

Ne soyez donc pas en peine de moi, chère maman, ma bonne chance continue. Sans le chagrin de rester là sans rien faire, je serais trop bien.

J’ai commencé par donner beaucoup de peine à