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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

salut qui intervient tout à coup ; on se retrouve souhaiter la vie, ou du moins on fait, pour profiter de l’occasion, comme si on la souhaitait. Mon inquiétude, c’est que le brave garçon qui nous a sauvés aura pu le payer cher. Je lui disais de venir avec nous, mais il devait garder l’usine de son père. Encore un à remercier, chère maman, dans des temps plus heureux.

Je savais que le corps de l’amiral se retirait par la route de Laval. Je voulus éviter de traverser la ville encombrée et fis suivre à mes hommes la route qui passe devant la gare. Je m’aperçus là que tout le matériel n’avait pu partir, mais les boulets pleuvaient déjà sur la gare, et quelques-uns même, sifflant par-dessus nos têtes, atteignaient la ville ; il n’était plus temps de rien essayer pour ces locomotives abandonnées, et je ne pensai plus qu’à stimuler la marche de mes compagnons fourbus.

Nous suivions péniblement les berges de cette Sarthe que j’avais vues naguère si paisibles, et nous allions atteindre le premier pont après l’usine à gaz… (ouvrez vos grands yeux, chère maman, et dites si, malgré tout, je ne suis pas né coiffé !…) quand je fus frappé de l’aspect d’un homme qui, appuyé sur le parapet, nous regardait venir. Il me semblait avoir vu quelque part ce chapeau, ce menton rasé et cette blouse bleue sous laquelle j’imaginais instinctivement les pans d’une redingote. C’était, avec un parapluie de cotonnade, un ensemble confortable et net que mon