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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

à neuf heures du matin, non sans avoir bien déjeuné. Leur lieutenant, dans les plus aimables intentions, je n’en doute pas, salue et crie : « Au reffoir ! » Un silence éloquent lui répond.

Deux heures après, un escadron entier complètement ivre. Les hommes se font ouvrir le château, entrent dans toutes les chambres, touchent à tout, se jettent sur les lits, étendent leurs bottes grasses sur les canapés ; je t’épargne les faits les plus graves. L’un se met au piano, un autre monte la pendule du grand salon, enfin ces honnêtes gens tuent le temps de leur mieux jusqu’à ce que leur repas soit prêt. De ce repas je ne dirai rien, car je m’abstiens d’y assister. Pendant qu’ils s’y consacrent, je fais le tour de mes chambres pour voir si aucun n’est resté endormi, et j’en trouve deux qu’il me faut secouer et qui jurent tant qu’ils peuvent. Mais j’aime mieux leurs jurons que le risque d’en garder un seul. Chez le docteur A***, notre voisin, pour un uhlan ivre laissé ainsi une nuit par mégarde, ses camarades ont trouvé moyen d’extorquer une amende. Enfin, voilà mes gens à cheval, fort vacillants ; ils partent.

Trois fourchettes ont disparu, tous les morceaux de savon, des serviettes et une dizaine de petits objets. Par contre, il est resté dans le vestibule un sac à bandoulière où je trouve, entre autres choses, six camisoles de femme, brodées, garnies et attachées deux par deux avec des rubans roses, plusieurs paires

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