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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

ont été déchirées à hauteur d’homme, les draps de lit coupés en petits morceaux, la vaisselle broyée plutôt que cassée. Le cabinet de travail d’Adolphe paraissait en ordre au premier coup d’œil, voici ce que le second nous a révélé :

Tu te souviens de ce tableau peint par Van Loo qui nous vient de mon beau-père ? il représente un déjeuner de chasse de Louis XIV. Seul il n’avait pas été caché, parce qu’il est encadré dans la boiserie même, au-dessus de la glace qui surmonte la cheminée ; nous comptions que la difficulté qu’on aurait à l’ôter de là le sauverait. En effet il y est encore ; mais chaque personnage, courtisan, grande dame, laquais, et même Sa Majesté, a été muni d’une petite touffe de crin à la place où une queue pouvait s’imaginer. Le cuir fendu du fauteuil d’Adolphe montre où l’on a trouvé la matière, un poinçon qui est encore là a été sans doute l’instrument.

Souffrir est un art qui s’acquiert comme tout autre, cette dernière vexation a manqué son but. Chevilly nous a appris ce qu’est la vraie douleur, et une douleur vraie préserve des fausses. Une même pensée nous est jaillie du cœur en même temps : combien il vaut mieux endurer de telles choses qu’être capable de les imaginer ! Si l’on était méchant, il y aurait même un amer plaisir à voir ses ennemis tomber si bas ! D’aujourd’hui, j’adopte pour tâche de