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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

avoir remarqué un certain accent, et nos gens en étaient arrivés à se croire immédiatement menacés. Trouvant leur chef naturel dans Adolphe, voilà tout ce monde qui veut battre le parc, et chacun qui s’arme de n’importe quoi. Thomas, Marie, la fille de basse-cour, Cadet et son maître en tête, les voilà à une heure du matin, se préparant à explorer les bâtiments d’abord, et les massifs ensuite. J’ai eu si peur de rester seule que je les ai suivis. C’était bien la mouche du coche, n’est-ce pas ? Que veux-tu ! J’ai du moins la franchise de ma poltronnerie. À trois heures du matin, nous nous sommes couchés sans avoir trouvé personne. J’ai ferraillé toute la nuit en rêve contre les Prussiens. Du reste, je ne fais plus que cela. Quelle vie ! et penser qu’on n’a pas l’air de songer à faire la paix ! Je t’assure que quand je ris, c’est pour ne pas pleurer.

Et pourtant, combien ma part dans l’épreuve est faible en comparaison de la tienne, ma pauvre sœur ! Je pense à toi, à ton petit troupeau, à tes chers assiégés ; je frémis de te sentir en des jours si troublés tant de points vulnérables, et, certes, je ne regrette plus cette stérilité, épreuve de ma jeunesse, ni le lumbago chronique de mon seigneur et maître, ni son demi-siècle accompli qui va bien avec mes quarante-deux ans.

Mais si réduite que deviendrait la surface de nos intérêts intimes si nous pouvions jamais les séparer