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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

des tiens, il y aurait encore place pour des coups sensibles. Cela me fait faire de grandes réflexions quelquefois ; je me demande si nous n’avons pas tourné un peu trop à l’isolement à deux, et si notre qualité de vieux ménage sans enfants est une suffisante excuse pour notre attachement à tant de choses, qui ne sont que des choses, et pour lesquelles nous sommes arrivés à trembler tout de bon.

L’ombre d’un espion te met en cet état ! me disait Adolphe cette nuit, quand je lui serrais le bras à chaque détour d’allée, et comment fait donc ta sœur qui, en ce moment, a l’ennemi tout autour d’elle et peut-être chez elle ? Que veux-tu qu’on te fasse ? — On peut piller le château, on peut brûler… Hélas ! voilà le grand mot — j’ai peur pour le château. Nous avons restauré et complété Thieulin ; tu sais comme nous l’avons meublé ; nous en avons fait notre paradis ; nous y avons rêvé notre vieillesse et nous avons peur pour tout cela. Cette peur, c’est triste à dire, mais je suis en veine de sincérité, est la cause première de l’achat d’un immense drapeau à croix rouge, et des airs d’ambulance que nous nous donnons. J’aurais seulement voulu le drapeau encore plus grand.

Cette peur m’ôte aussi beaucoup de zèle pour la défense locale. Je frémis quand j’entends parler des avantages stratégiques du Perche, de ses haies, de