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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

vée, les voisins entrent un à un dans la cuisine où sont déjà réunis les domestiques.

Je commence à traduire, et tu ne peux t’imaginer à quel point mes auditeurs sont attentifs. Les commentaires, les demandes d’explications s’entrecroisent, et si je n’ai pas eu soin de passer les phrases qui témoignent trop d’amitié pour les Prussiens, c’est une explosion d’indignation que j’ai bien de la peine à calmer. Il faut avouer que les journaux étrangers dépassent en général la mesure de malveillance qu’on leur pourrait permettre. À les entendre, tandis que les soldats de Guillaume sont tous des anges, sans exception, et se conduisent avec une générosité et une délicatesse sans exemple, nous, Français, sommes aussi coupables qu’insensés de prétendre nous défendre au lieu d’accepter la loi du vainqueur. Ce qui devrait honorer notre désastre, ces essais, encore trop peu marqués, de résistance locale, nous sont reprochés comme autant de crimes. C’est à ne plus savoir où l’on en est ; ce qui est bien ou ce qui est mal se confond et s’embrouille suivant l’esprit de parti. J’avais cru qu’au moins l’on nous plaindrait de notre malheur, mais non, pas même cela !

Aussi, je passe à mes auditeurs ce qui n’est que politique, et je les nourris plutôt des récits sur les ambulances. Les traits de blessés français et allemands se portant secours les uns aux autres, ces apaisements des haines, quand la lutte est finie, sont