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Le Baron.

Je me partagerai.

La Comtesse.

Je me partagerai.Non, tout amant l’ennuie ;
L’amour et lui, monsieur, sont brouillés tout à fait.
L’un est vif, amusant, l’autre sombre et distrait.
Le monde d’un butor fait un homme passable,
Et l’amour fait un sot souvent d’un homme aimable.

Lucile.

Ce portrait de l’amour n’est pas bien gracieux.

La Comtesse.

Mon bel ange, il est peint plus charmant dans vos yeux.

Le Baron.

En dépit de vos traits, l’amour polit nos âmes.

La Comtesse.

C’est l’ouvrage plutôt du commerce des dames.
Pour valoir quelque chose, il faut nous voir vraiment,
Avoir du goût pour nous ; mais point d’attachement,
Point d’amour décidé, ni qui forme une chaîne.

Lucile.

J’avois cru jusqu’ici que nous valions la peine
Qu’on s’attachât à nous particulièrement.

La Comtesse.

Je vois que la petite est fille à sentiment.
Volontiers je fais grâce à l’erreur qui l’occupe.
Elle n’a que seize ans : c’est l’âge d’être dupe,
L’âge par conséquent de se représenter
L’amour sous des couleurs faites pour enchanter.
Moi-même, à quatorze ans, j’ai donné dans le piège ;
Moi, baron, qui vous parle. Oui, j’ai, vous l’avouerai-je ?