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CHARLOT S’AMUSE

rêvait plus, ne songeant même pas à ses anciennes pratiques, se sentant sans forces et sans désirs, ou, s’il avait parfois un fugitif ressouvenir de ses débilitantes habitudes, l’oubliant aussitôt et se disant : « Je suis une brute heureuse. » Car la fatigue avait eu enfin raison de son mal et paralysait, dans une anesthésie de ses sens rebelles aux caresses, son imagination elle-même.

Peu à peu, il se fit à son métier. Inconsciemment, il jouissait de son retour à la santé et de la renaissance de ses forces. Un jour, il reçut de l’abbé Choisel cinq francs en timbres poste, et, les ayant vendus le dimanche suivant, il alla à la cantine se gorger de gros vin et de figues avec ses deux camarades de lit. Cela lui valut deux amitiés solides. Il rentra, en chantonnant, un peu gris, et, dès lors, devint un troupier véritable. Il ne sortait que rarement et n’était jamais encore descendu en ville, ne trouvant pas le courage de faire les quelques kilomètres qui l’en séparaient. Il préférait remonter le boulevard de l’Eygoutier, qui longeait les casernes jusqu’au polygone. Là, il gagnait le bord de la mer et se couchait dans le varech. Avec des étonnements sans fin, il admirait la rade, éprouvant un incessant bonheur à perdre ses regards sur l’eau bleue. Ses