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CHARLOT S’AMUSE

recouvrait ce manteau de lune, et il s’y perdait en esprit, délicieusement, dans la maladive jouissance de la solitude et du silence. Mais soudain, du pont d’un des cuirassés, un tintement montait qui se répercutait de navire en navire, et, mélancolique, une voix criait dans la nuit : « Bon quart, bâbord ! » Comme le son de la cloche, le cri se répétait d’un bord à l’autre, avec des modulations longuement tristes et différemment étranges. Puis, le silence recommençait, et Charlot pour ne pas le troubler, évitait de crier « au large ! » lorsqu’un canot de pêcheur venait sans bruit traîner ses filets dans les eaux de l’Arsenal.

Cependant la lune descendait dans le ciel, faisant plus intense, derrière elle, l’illumination cuivrée des étoiles. Entre les navires, ce n’était plus une ronde nappe de mercure, mais un large sillon qui rampait comme un serpent, se tordant à chaque ride de la mer. La blanche coulée, filait, s’éparpillant pareille à une queue de comète qu’aurait dévorée l’eau. Et les cuirassés se profilaient maintenant, distincts, avec leurs mâts courts et roides et la trame ténue de leurs cordages qui tissait des toiles d’araignées dans un coin du ciel. Les feux de position apparaissaient immobiles, et leur fixité, sous la décroissante