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CHARLOT S’AMUSE

fortifiant, hâlant sa peau au souffle de l’Océan, insouciante des embruns comme du soleil. Ignorante, elle ne connaissait que la mer et les champs, lisant à grand peine dans son paroissien et n’ayant d’autres distractions, tous les mois, qu’une courte visite à sa mère enfermée à deux lieues de là dans un hospice d’aliénés, d’autres chagrins que les brutalités de son père et de ses frères, lorsque les quatre hommes, ivres de cidre et de glorias, revenaient, le dimanche, d’un pardon voisin, et la battaient comme plâtre à propos d’un rien, pour la soupe trop chaude ou pour le pichet non rempli, avec les grosses insultes et le mépris profond des rustres pour la femelle. Elle se sauvait en pleurant, ces soirs-là, et courait conter sa misère au recteur, son parrain. Le vieux prêtre était un brave homme qui l’avait élevée. Il la consolait, lui donnant quelques images de piété naïvement enluminées, qu’elle serrait dans son corsage, et il courait sermonner les gars qui, respectueux et reconnaissants de ce qu’il avait fait pour leur mère folle, lui demandaient pardon : Anne revenait sur un signe du curé, et la paix était faite jusqu’au dimanche suivant.

Cependant, la jeune fille se fit femme. Elle allait maintenant aux veillées, se laissant