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CHAPITRE IV.

d’une funèbre procession. C’étaient des moines enveloppés de capuchons noirs, des clercs revêtus de chapes de la même couleur. Les évêques et les abbés se distinguaient par la crosse pastorale qu’ils portaient à la main. Parmi ces derniers, Gaucelin reconnut, avec une extrême surprise, plusieurs éminents personnages que l’on avait considérés, de leur vivant, comme les lumières du siècle, et que l’opinion publique plaçait dans le ciel au rang des saints. Tels étaient : Hugues de Lisieux, Mainier, abbé d’Ouche, Gerbert, abbé de Fontenelle. Cette rigueur des jugements de Dieu jetait le pauvre prêtre dans un trouble inexprimable. Cependant il n’était pas arrivé au dénouement de cette terrible aventure. Des chevaliers, rangés en bon ordre de bataille, suivaient à leur tour. Leurs armures noires laissaient voir, dans la transparence de leur poli, un flamboyant reflet, comme si un feu liquide eût circulé dans le métal. Chacun de ces chevaliers était monté sur un cheval d’une taille et d’une allure gigantesques ; des bannières noires se déployaient au front de cette sombre armée. Là, Gaucelin put distinguer encore des visages connus, entr’autres Richard et Beaudoin, fils du comte Gislebert. H vit aussi Landry, vicomte d’Orbec, qui avait été tué dans le cours de la présente année. Ce chevalier s’était élevé beaucoup au-dessus de sa naissance ; il avait exercé la profession d’avocat, mais il employait souvent son esprit insinuant et son éloquence captieuse au triomphe des causes injustes. Il voulut s’adresser à Gaucelin, et le supplia, avec des plaintes déchirantes, de se charger d’un message pour sa femme et ses enfants ; mais les chevaliers qui suivaient s’écrièrent tous à la fois avec rudesse : « Ne croyez pas Landry, c’est un imposteur ! »

Pendant que les chevaliers continuaient à défiler, Gaucelin se dit à lui-même : « Voilà sans doute les gens de Herlequin (Herlechinus) ; j’ai entendu maintes fois parler de ces apparitions, et toujours j’ai refusé d’y croire. Il est probable que mon récit trouvera aussi des incrédules ; il faut donc que je m’empare d’un des chevaux qui suivent cette troupe, afin que je