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LES FÉES.

grises, prenaient le haut du pavé dans les cours du château ; mais que, lorsqu’il naissait une fille, les femelles, en plumes plus blanches que neige, prenaient la droite sur les mâles. Que si cette fille devait être religieuse, on remarquait une de ces oies, entre les autres, qui ne nichait point, mais demeurait solitaire dans un coin, mangeant peu et soupirant dans son cœur[1]. »

Nous n’avons pas d’autres explications à donner à nos lecteurs, sur ce conte, qu’une étymologie : le patois poitevin appelle une oie : Pirou[2]. Qu’importe, après tout, l’origine de nos oies merveilleuses ? Le plus regrettable, c’est qu’elles aient disparu ! Bonnes et sympathiques fées, si compatissantes aux tristesses d’une destinée de femme, dans quelle région bienheureuse vos ailes blanches vous ont-elles emportées, quand il y avait encore ici-bas tant de douleurs à soupirer et à plaindre ? Les Dieux s’en vont, et l’orgueil de l’homme s’en console ; mais les fées, ces providences de la faiblesse ingénue, devraient-elles aussi s’éloigner sans retour ?

Après ces fées protectrices, qui nous abandonnent à mesure que tombent les anciens châteaux, que meurent les illustres généalogies, ne verrons-nous pas s’évanouir aussi les fées mignonnes de nos campagnes ? Tout est possible dans notre siècle d’incrédulité : peut-être une main sacrilège et brutale, poussée par quelque vain prétexte d’utilité, les écrasera-t-elle en bouleversant leurs grottes jadis si respectées ? Alors elles auront à jamais disparu !

Si nous ne pouvons prévenir ce triste jour, témoin du martyre de la dernière fée, aidons du moins à sauver la mémoire, à perpétuer le souvenir des plus gracieuses divinités de notre mythologie, en transmettant religieusement toutes les révélations que nous avons recueillies à leur sujet.

  1. Vigneul-Marville, Mémoires d’hist. et de littérature, t. i » p. 128.

    Suivant cet auteur, il se trouve une belle description du château de Pirou, sous le nom de Besmeliane ou Vïvarambe, dans l’Almaïde de M. Scudéry.

  2. Ducatiana, t. ii, p. 295.