Page:Bosquet - La Normandie romanesque.djvu/149

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
116
CHAPITRE VI.

et polie, dans le temps même où, adjointes à la doctrine des sortilèges, elles servaient d’incitation à des passions souvent aussi farouches que crédules, et suscitaient un nombre incalculable d’atroces condamnations.

Les limites de cet ouvrage ne nous permettent pas d’entrer dans aucun détail ayant rapport à ces faits ; nous nous bornerons à citer un exemple frappant des exécutions auxquelles eut part, au moins comme prétexte ostensible, l’imputation de sortilège par féerie : Jeanne d’Arc, cette patriote héroïne que son martyre a naturalisée parmi nos gloires normandes, fut questionnée, lors de son procès, sur le prétendu commerce qu’elle avait entretenu avec les fées. Le Journal de Paris, sous Charles VI et Charles VII, prétend qu’elle avoua qu’à l’âge de vingt-sept ans, elle allait souvent, malgré son père et sa mère, à une belle fontaine, au pays de Lorraine, laquelle elle nommait : bonne fontaine aux fées Notre-Seigneur[1].

Mais, outre les faits consignés dans les annales de la justice, il en est d’autres plus obscurs qui témoignent, non moins explicitement, que ces superstitions, en s’insinuant dans des mœurs encore barbares, engendraient de funestes préjugés !

En Basse-Normandie, aussi bien qu’en Bretagne, en Écosse et en Irlande, on croyait que les fées enlevaient les enfants des mortels, et qu’elles déposaient, à la place de ces gracieuses et innocentes créatures, leurs propres enfants : méchants, criards, d’une pesanteur extraordinaire, quoique d’une maigreur excessive, et auxquels des soins assidus ne pouvaient donner aucune des apparences de la fraîcheur, de la santé et de la jeunesse. Ce qu’il y avait de supérieur dans leur essence, mêlé à la vie des mortels, devenait une monstrueuse infirmité, tant il est vrai qu’aucun être ne peut impunément se détourner de sa fin.

Les mères redoutaient beaucoup ces sortes de substitutions. De là, on croirait peut-être induire avec justesse que cette superstition n’amenait pas d’autre résultat que de soumettre le berceau des chers nourrissons à une surveillance plus

  1. Journal de Paris, 1729, in-4o, p. 139.