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LUTINS

vants ; mais, pour retracer sa physionomie d’une façon complète, il nous faut déterminer les traits principaux de sa race, qui mérite, à juste titre, les dénominations sémillantes de Farfadets, de Lutins et de Follets.

En général, le lutin est plutôt malicieux que méchant ; il aime les bons tours, le petit mot railleur, les farces d’écolier ; il est moqueur et rusé, et ne prend guère au sérieux que son amour-propre. En dépit de ses gambades grotesques, de ses mines grimaçantes, de sa petite taille qui dépasse à peine la hauteur d’un brin d’herbe, du bonnet pointu dont l’affuble l’imagination du peuple, il ne souffre pas qu’on manque à sa dignité par une désignation méprisante, ou seulement par quelques plaisanteries hors de propos. Dans ce cas, sa vengeance est cruelle, à moins qu’elle ne trouve à se satisfaire au moyen d’une farce bien saugrenue[1].

Le lutin a une passion excessive pour la propreté ; il se complaît dans les surveillances minutieuses, et les servantes ou les ménagères ont le privilège d’exciter ses plus tendres sympathies. Lorsqu’elles s’acquittent scrupuleusement de leurs devoirs, il leur témoigne sa satisfaction d’une manière très efficace, en aidant à leur tâche avec une adresse, une promptitude et une dextérité singulières.

Pourtant, ce dévouement et cette prédilection ne sont pas aussi désintéressés qu’on serait porté à le croire : le lutin tient un peu du viveur ; il fait profession de fine gastronomie. Voulez-vous avoir part à ses bonnes grâces ? tenez toujours un repas friand à sa disposition, car il est très exigeant sur la qualité du lait et sur l’assaisonnement des gâteaux.

Les prédilections du lutin ne se concentrent pas exclusivement sur les range-ménage et les cuisinières ; notre gobelin, en particulier, affectionne beaucoup les enfants et les chevaux. Il panse ceux-ci, les étrille, les mène boire à la mare, en ga-

  1. Henry Heyne, l’Allemagne depuis Luther, Revue des Deux-Mondes, 1834, t. I, p. 484 et suiv. — Walter-Scott, Démonologie, Lettre VI, p. 127 et suiv.