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CHAPITRE VIII.

la terre des rubans ou des monceaux d’argent. Lorsqu’ils se baissaient pour les ramasser, ils ne trouvaient plus rien à saisir sous leurs doigts avides Ces richesses si attrayantes n’étaient que des illusions[1].

D’autres champs, en Basse-Normandie, paraissent également couverts de pièces d’or et d’argent, mais celles-ci sont bien réelles ; on peut les recueillir, à condition de ne pas les perdre de vue jusqu’à ce qu’on ait, en se retirant, franchi certaines limites, sans quoi, tout ce que l’on tenait, disparaît aussitôt. Ainsi, selon une tradition orale qu’on nous a rapportée, une petite fille, qui gardait son troupeau près d’un de ces terrains magiques, ayant aperçu la brillante moisson, se mit à ramasser tout ce qu’elle put, et, sans perdre de vue son trésor, allait l’emporter, lorsqu’elle entendit tout-à-coup une voix qui criait : « Gare les brebis, à l’avoine ! ». Elle tourna instinctivement la tête, et sa précieuse récolte était disparue.

Cette dernière tradition présente une remarquable analogie avec celle qui règne, en Irlande, sur les Cluricaunes, petits nains, possesseurs de trésors qu’on peut les forcer de révéler, si, lorsqu’on les attrape, on ne les perd pas un instant de vue, mais qui parviennent toujours à vous échapper, par une surprise analogue à celle que nous venons de rapporter.

À Athis, près des ruines mal famées d’un ancien château, se trouve une ferme où les mauvais esprits font de temps à autre des apparitions. Un matin, la cour de cette ferme parut comme pavée de pièces d’argent. Deux valets qui sortaient de la maison furent témoins du miracle. Frappés d’étonnement, ils rentrèrent pour se consulter avec leurs maîtres au sujet de cette prodigieuse fortune ; mais, lorsqu’ils retournèrent sur le seuil de la porte, ils ne trouvèrent plus rien. La leçon, que l’on peut tirer de cette espèce de contes, sur la vigilance absolue que réclame la conservation des richesses, est très

  1. P. Le Fillastre, Superstit. du canton de Briquebec ; (Annuaire de la Manche, 1832.)