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CHAPITRE XI.

un bruit inaccoutumé !… C’est le frémissement redoutable des ailes immenses du Dragon, qui choquent l’air avec autant de violence que le ferait la tempête. Le monstre apparaît tout-à-coup ; sa forme gigantesque couvre le vallon de son ombre, son corps sinueux se précipite, tournoyant et enflammé comme la foudre ! Il lance autour de lui les reflets magiques de son œil de diamant, dont l’éclair glace et fascine ! Tachez d’échapper à ce regard ; faites-vous si humble et si petit, que le monstre ne puisse vous apercevoir ; son inquiétude n’est que d’un instant, car l’orgueil le rassure. C’est alors qu’il dépose le talisman auquel il doit sa puissance. Le diamant scintille sous le gazon où il est caché, et l’enrichit d’une gerbe d’étincelles lumineuses, tandis que le Dragon, déjà troublé et languissant, à cause de son aveuglement subit, suspend aux flots de la source sa langue altérée. Voici le moment favorable, il faut braver la présence du monstre, et se saisir du diamant ; le Dragon, dans sa cécité, mourra infailliblement de désespoir ; mais celui qui aura accompli cet acte de courage, possédera une fortune incalculable, surpassant encore tout ce qu’un fol espoir peut rêver.

À propos de la soif habituelle qui tourmente le Dragon, et dont, suivant la tradition normande, il y a possibilité de tirer si bon parti, nous rappellerons que, dans les légendes de diverses contrées, la demeure qu’on indique aux monstres de cette sorte est toujours située au bord de la mer, d’un fleuve ou d’une rivière. Témoins la Tarasque du Rhône et la Gargouille de la Seine. Quelques érudits se sont fondés sur cette circonstance pour démontrer que les dévastations attribuées aux Dragons et aux autres serpents monstrueux, figuraient les ravages occasionnés par le débordement des eaux. Comment supposer, cependant, qu’une image semblable, qui n’aurait point la valeur d’un symbole religieux, mais simplement celle d’une comparaison poétique, aurait été conçue ou renouvelée en tant de lieux différents ? D’ailleurs, l’opinion que l’on s’est formée de la prédilection du Dragon