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CHAPITRE XIV.

portaient le mort sur leurs épaules, et dans un état d’angoisse inexprimable. Souvent même, pendant la durée du divin sacrifice, le revenant se tient à côté d’elles, paraissant s’associer à leurs prières. À cause de ces diverses circonstances, les apparitions des revenants sont un sujet d’extrême inquiétude et de vive terreur. Mais les morts n’importunent de leurs réclamations que leurs parents, leurs amis, leurs voisins[1]. Comme ils ont mille moyens de contraindre les vivants à leur accorder secours, on doit supposer que c’est par scrupule de générosité qu’ils n’associent point à leurs peines les personnes étrangères. Ainsi, le peuple, toujours exclusif dans ses sentiments, parce qu’il ne sait pas, par l’action de l’intelligence, rapprocher de lui ce qui est en-dehors de ses sensations, n’a pu comprendre et admettre la solidarité chrétienne qu’en la restreignant au cercle étroit de la famille.

Quelquefois l’apparition d’un revenant est périodique, c’est-à-dire qu’elle se renouvelle chaque nuit aux mêmes heures et en un certain lieu, malgré toutes les mesures par lesquelles on tente de la prévenir. C’est ordinairement à la suite d’un crime énorme ou d’une terrible catastrophe dont il a été victime, qu’un mort se trouve engagé à ces apparitions qui servent sa vengeance, et ne laissent point au remords un jour de repos dans la conscience des coupables.

Le château d’Argentan, dont il ne reste plus maintenant que trois tours, était l’asile d’un de ces fantômes vengeurs. Une jeune demoiselle, qui, disait-on, y avait été injustement enfermée, y faisait de nocturnes apparitions sous diverses formes. On l’appelait la Demoiselle du château, et, quelquefois, la Bête du château d’Argentan[2].

  1. P. Le Fillastre, Superst. du canton de Briquebec ; (Annuaire de la Manche, 1832.)
  2. L. Dubois, Annuaire statistique du dép. de l’Orne. — Plusieurs châteaux de Normandie sont le théâtre d’apparitions semblables ; mais les traditions qui s’y rattachent trouveront place en d’autres chapitres de cet ouvrage.