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PERSONNAGES CÉLÈBRES.

à Dieu, il vous punira et abrégera votre vie. » Le roi, plus avaricieux encore que peureux et crédule, revint à son naturel, et prit en ironie le discours du moine : « Vrai Dieu ! s’écria-t-il, vous êtes clerc, mon voisin, et voudriez tenir faveur aux gens d’église ; mais moi, je suis cousin des clercs, je connais leur finesse, et ne m’y laisse point prendre[1]. »

Cependant, Guillaume, troublé intérieurement, plus qu’il ne voulait l’avouer, ne chassa pas dès le matin, comme il en avait formé le projet. Mais, l’heure du dîner étant arrivée, la joie du festin rasséréna son imagination, et acheva de dissiper les sinistres impressions de la nuit. Voulant reprendre la partie de chasse qu’il avait abandonnée, le roi se disposa à monter à cheval. Au moment où il chaussait ses éperons, un forgeron se présenta devant lui, et lui remit six flèches, dont il s’était appliqué à soigner le travail. Le roi les reçut avec joie, donna de grands éloges à l’ouvrier, puis choisit quatre de ces flèches pour lui-même, et fit présent des deux autres à un chevalier de ses favoris, appelé Gaultier Tyrrel. En les lui remettant, il dit ces paroles remarquables, et qui renfermaient une trop véridique prophétie : « Il est juste de donner les flèches les mieux aiguisées à celui qui saura le mieux s’en servir pour porter des coups mortels[2]. »

La forêt, dans laquelle le roi allait chasser, et qui s’appelait, comme nous l’avons dit, la forêt Neuve, avait été plantée par Guillaume-le-Conquérant ; mais c’était un lieu fatal à la race de ce prince. Un jugement équitable de Dieu le voulait ainsi. En effet, Guillaume-le-Conquérant, ayant fait choix d’un vaste emplacement qu’il destinait à ses plaisirs, avait forcé la nombreuse population qui habitait cette partie du comté de Southampton d’émigrer au loin. Puis, dans la limite qu’il s’était réservée, et où se trouvaient renfermées, dit-on,

  1. Matthieu Pâris, Grande Chronique, année 1100, t. i, p. 219 de la traduction de M. Huillart-Bréholles. — Chronique rimée de Philippe Mouskes, p. 207 et suiv. — Chroniques de Normandie.
  2. Orderic Vital, Histoire de Normandie, liv. x.