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CHAPITRE XXII.

cette princesse ; il prétendait, par exemple, qu’elle avait une origine diabolique, et voici la fable qu’il débitait, à l’appui de son assertion :

Un comte d’Aquitaine, qui chassait un jour dans une de ses forêts, se trouva séparé de sa suite. Après avoir erré longtemps à l’aventure, il fit la rencontre d’une très belle damoiselle, qui se tenait assise sur le bord d’une fontaine. Le comte salua d’abord cette jeune fille, puis descendit de cheval, pour prendre place à ses côtés, et, s’en trouvant subitement épris, lui proposa de le suivre. Elle, souriant à demi, répondit qu’elle suivrait volontiers le comte, s’il consentait à l’épouser. Il lui en fit la promesse avec une grande joie, et, de plus en plus enamouré, la conduisit à son château, où il la présenta comme son épouse à tous ses chevaliers. Cette union fut heureuse et féconde. Cependant, une circonstance mystérieuse mêlait quelqu’inquiétude au bonheur du comte : on avait remarqué que la comtesse, chaque fois qu’elle assistait à la messe, se retirait toujours au moment de la consécration, sans qu’aucune instance pût la déterminer à attendre la fin du saint sacrifice. Le comte voulut pénétrer le secret de cette conduite singulière, et permit que ses gens se tinssent prêts à arrêter sa femme au moment où elle tenterait de s’enfuir. Il fut fait comme il avait été résolu ; plus de vingt hommes d’armes s’élancèrent au devant de la comtesse, et lui barrèrent le passage ; tandis qu’un prêtre s’avança, l’étole en main, pour la lui poser sur la tête, et lui jeta de l’eau au visage, en prononçant les saintes paroles. Alors, cette femme, qui s’était toujours montrée d’humeur si avenante et si douce, commença à se démener comme si elle eût eu au corps toutes les légions de l’enfer ; elle fit tant d’efforts, se débattit avec tant de violence, qu’elle parvint à s’échapper des mains qui la retenaient ; puis elle renversa tout sur son passage, s’élança, d’un bond, au haut du porche, et disparut, enlevant avec elle la couverture du moustier. Cependant, les enfants qu’elle avait donnés au comte ayant été baptisés, elle n’eut aucun pouvoir sur eux.