Page:Bosquet - La Normandie romanesque.djvu/73

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
40
CHAPITRE III.

présent dans leur entrevue : Richard ne se lassa point de chevaucher toute la nuit, et comme la lune était claire et dans son plein, il distingua sur la route une fontaine près de laquelle se trouvait un très beau pommier couvert de feuillage et chargé de pommes telles qu’on n’en connaissait pas d’une espèce semblable. « Par ma foi, se dit Richard, je suis tout ébahi que les charbonniers qui passent ici nuit et jour n’aient point encore cueilli les fruits de cet arbre ; par mon sauveur Jésus, je les en tiens pour fous. » En parlant ainsi, le duc Richard cueillit trois pommes, les cacha dans son sein, et s’en revint à Rouen dormir après minuit. Le lendemain, il se leva à l’heure de prime, ayant été entendre la messe à Notre-Dame, il porta à l’offrande le drap de Hellequin pour décorer l’autel. La messe dite, il retourna dîner au château, et, sur la fin du repas, il fit atteindre les trois pommes, qui avaient été déposées, par son commandement, en de riches étuis.

Le duc montra ces pommes à tous ceux qui étaient présents, et proclama à haute voix que, s’il était un homme de sa meignie qui pût, avant l’heure de Complies, retrouver le pommier qui produisait de tels fruits, celui-là serait assuré de ne manquer de rien à l’avenir.

Son pain cuit lui donra a trestoute sa vie[1].

Alors Richard bailla à toute sa gent les enseignes certaines auxquelles on pourrait reconnaître le beau pommier que il leur deuisa. Plusieurs se mirent en route pour le quérir, cherchèrent long-temps par la forêt, mais ne trouvèrent point de pommier ; adonc furent obligés de s’en retourner comme ils étaient venus. Ce que voyant, le duc Richard fit ouvrir les trois pommes, et planter les pépins dans ses vergers.

Aux pommiers qui en vindrent alla mettre son nom ;
Encore les pommiers de Richard les nomme on[2].

  1. Roman de Richart.
  2. Roman de Richart.