Page:Bossard - Gilles de Rais dit Barbe-Bleue, 1886.djvu/363

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
340
GILLES DE RAIS.

peuple l’horreur du mal par la crainte du supplice. Un mystère du xive siècle[1] fait allusion à ce trait de mœurs. L’arrêt vient d’être rendu contre la coupable, et le juge donne au sergent l’ordre d’aller crier sur la place publique : « Que nul chef de famille ne se dispense de venir assister à l’exécution, sous peine de payer une amende ! » Mœurs sévères de cet âge, qui ne croyait jamais pouvoir trop inspirer l’horreur du crime par le spectacle du châtiment qu’il entraîne : mœurs surprenantes, où le repentir donnait droit à tous les pardons et où les victimes intercédaient elles-mêmes publiquement pour les coupables !

Conformément au désir du maréchal de Rais et comme le président de Bretagne le lui avait accordé, son corps, soustrait aux flammes par la piété de sa famille, fut inhumé dans l’église des Carmes, et non pas dans celle de Notre-Dame de Lorette, comme plusieurs l’ont raconté. Selon le plus illustre des historiens de Bretagne, Dom Morice, le duc permit de l’inhumer en terre sainte, en considération de sa naissance, de ses exploits militaires et de son repentir, mais d’accord évidemment avec l’évêque de Nantes, à qui revenait ce droit ecclésiastique. Les funérailles furent magnifiques. Pour obtenir le pardon complet de ses fautes et abréger ses souffrances dans l’autre vie, sa famille fit célébrer un service solennel[2]. « Plusieurs demoiselles qui l’avaient enseveli furent prendre des ossements du bon sire et les conservèrent pieusement en souvenir de son grand repentir[3]. » La magnificence déployée en cette occasion forme un étrange contraste avec le supplice du coupable, et les sentiments qu’inspira sa mort surprennent étonnamment après ceux qu’avaient inspirés ses crimes : triste consolation d’une famille désolée, qui n’eut pas du moins le déshonneur de voir les cendres de son chef jetées aux vents. Car chez tous les peuples, mais particulière-

  1. « De la famille que Nostre-Dame garda d’être arsée ». (Petit de Juleville, Hist., du théâtre français, t. I, p. 162.)
  2. D. Lobineau, Armand Guéraud, Désormeaux, l. c. I. 126.
  3. Jean Chartier, l. c.