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GILLES DE RAIS.

un seul nous est parvenu. La célèbre église, qui abritait sous ses voûtes tant de grands hommes, a complètement disparu sous le fer et sous le feu. Le peuple a tiré de leurs cercueils ces restes illustres, et traîné les cercueils hors des tombeaux ; les marbres eux-mêmes, doublement précieux par la matière et par l’art, ont été vendus à l’enchère à d’obscurs bâtisseurs ; encore les démolisseurs donnèrent l’ordre aux acheteurs de les briser pour en faire des tables de cheminée. Il serait inutile de rechercher ce que devinrent le tombeau et le corps du supplicié de la Biesse : loin d’éclairer l’histoire, les suppositions lui sont souvent nuisibles. Dans la destruction presque universelle qui eut lieu des tombeaux des Carmes, il est certain que ni la pierre ni les restes du plus triste héros du xve siècle ne furent épargnés : le tombeau se transforma probablement, comme tant d’autres œuvres à jamais perdues, en tablettes de cheminée ; quant aux restes de Gilles, ils étaient désignés d’avance, par le souvenir de ses crimes, aux colères du peuple : les flammes et les vents, auxquels les avait soustraits, le 27 octobre 1440, la piété de quelques « nobles demoiselles de son lignage, » reprirent ce qu’on leur avait enlevé.

Plus longtemps encore que son tombeau, le monument, élevé sur le lieu de son supplice, rappela aux peuples l’expiation des crimes de Gilles de Rais. À l’origine, ce monument fut sans doute un calvaire ou une croix, comme à Rouen sur la place du Vieux-Marché où fut brûlée la Pucelle[1]. Plusieurs disent qu’il fut élevé par la piété de sa fille Marie. Dans ses Grandes Cronicques de Bretagne[2], Alain Bouchard, qui vivait à la fin du xve siècle, indique le lieu du supplice du maréchal de Rais « en la prée de la Bièce, joignant le pont de Nantes, où est une croix de pierre » ; et l’abbé Travers, qui perpétue la tradition, nous fixe de nouveau l’endroit, en disant que l’on y voit les images de la Vierge, de saint Gilles et de saint Laud, sans dénommer autrement le monu-

  1. Wallon, Hist. de Jeanne d’Arc, II, p. 337.
  2. Éd. 1532, p. 168.