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GILLES DE RAIS.

l’Histoire de la maison de Montmorency écrivait pour une famille dont il avait consulté toutes les archives et recueilli toutes les traditions : son témoignage a donc une certaine valeur, même à défaut d’un texte précis et original. Il paraît bien vraisemblable d’ailleurs que Gilles eut une troupe d’acteurs spécialement réservée à ses plaisirs. Chaque année, en effet, les représentations qu’il donnait étaient si nombreuses et si rapprochées les unes des autres qu’on ne peut guère facilement les expliquer que par une troupe continuellement occupée à travailler sous ses ordres. Noël, Pâques, l’Ascension, la Pentecôte, la Toussaint, toutes les grandes fêtes de l’année étaient célébrées par des jeux scéniques[1]. Le temps considérable qu’il fallait employer à préparer des drames comme les Passions ou le Mystère du siège d’Orléans, laissait fort peu d’intervalle entre deux. Il n’avait rien d’emprunt ; rien ne lui venait du dehors, ni échafauds, ni décors, ni habillements ; il eut pris pour aumône l’argent que lui aurait procuré le prix des places ; il défrayait même les spectateurs ; c’eût donc été mendier aussi que demander les services d’une troupe étrangère à sa maison ; au lieu de recourir lui-même aux autres, c’était à lui, au contraire, que les autres avaient souvent recours ; et il en était probablement de son théâtre comme de la chapelle, qu’il se faisait un plaisir de prêter aux ducs et aux princes.

C’était, en effet, un luxe peu commun que d’avoir à son service une troupe d’histrions ; des rois eux-mêmes auraient envié cet honneur : Charles VI se rendait naguères aux représentations de la Trinité. Gilles de Rais jouait au prince, au roi : nous verrons plus tard que la grandeur royale était le but unique où convergeaient tous ses désirs, même les plus différents, et qu’il n’avait qu’une seule préoccupation, celle de surpasser les autres hommes et même les plus grands. Aussi peut-on croire que les personnages qu’il faisait souvent représenter n’avaient lieu que pour signaler son passage ou

  1. Mémoire des Héritiers, fo 10, ro.