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PERSONNAGES MIMÉS.

son arrivée dans les villes qu’il traversait[1]. On sait, en effet, qu’à l’entrée des princes et des princesses, les villes déployaient un grand luxe de représentations, dont l’une des plus rares et des plus curieuses était sans contredit celle des personnages mimés. Parmi celles dont l’histoire du théâtre fait mention, la plus célèbre de toutes est celle qui eut lieu en 1420, à l’entrée du roi Charles VI et de Henri V à Paris, où l’on vit la représentation « d’un moult piteux mystère de la Passion de Nostre Seigneur au vif, selon qu’elle est figurée autour du cueur de Nostre-Dame de Paris[2]. » Rien, ce me semble, ne peut mieux en donner l’idée qu’une suite de tableaux vivants. À quoi les comparer ? Quelque chose d’analogue se voit encore chaque année aux processions de la Fête-Dieu, à Angers. Sur la longue ligne où sont étalées les vieilles tapisseries du moyen âge, qui décorent le pourtour extérieur de la cathédrale et de l’évêché, sont peintes encore aux yeux du peuple les scènes naïves, terribles ou touchantes, qu’il admirait jadis sur le théâtre et le long des murs de la ville, où se développaient les tréteaux : Naissance de Jésus-Christ, Circoncision, Baptême du Jourdain, Noces de Cana, toute la suite des mystères de la vie du Christ, se trouve là avec les mœurs, les costumes, la bonne naïveté comique du vieux temps. Seulement ces personnages, tissés avec la laine et la soie, ne vivent pas ; plats et décolorés, ils n’ont ni le relief, ni la couleur des personnages du moyen âge, aux jours où la scène, à la place des tapisseries aux couleurs ternies, les présentait immobiles comme aujourd’hui, mais vivants, animés, au relief puissant. Autrefois comme aujourd’hui, le peuple curieux parcourait les rues pour assister à la plus originale représentation qui ait jamais été sur un théâtre chez aucun peuple. Tels étaient ces personnages que Gilles de Rais faisait disposer sur son passage ou sur le passage des rois et des princes, et que les documents distinguent si soigneusement des autres genres dramatiques[3].

  1. Ibidem, fos 9, vo ; 10. ro ; 16, vo.
  2. M. Petit de Julleville, t. II, p. 180.
  3. Sur ces personnages, v. M. Petit de Julleville, t. I, p. 186, 200.