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LES REPRÉSENTATIONS.

suite des idées dans ce passage particulier. L’auteur, ou du moins l’inspirateur de ce document, René de la Suze, puîné de Gilles, avait bien raison, d’ailleurs, de regarder cette manie ou cette ambition comme l’une des causes de la ruine de son frère. Car, n’avait pas qui voulait de poète à ses gages ; il fallait les payer fort cher ; et il n’y avait guère que les princes et les rois à se passer la fantaisie de faire composer des drames. On dit qu’un poète obtint du roi René, en une seule fois, la somme de deux cent cinquante florins « pour certain livre ou histoire des Apôtres qu’il avait naguères dressée et mis en ordre selon la matière que ledit seigneur lui avait baillée[1]. » Comme on le voit, aux princes plus amis de la gloire que de la fortune, il en coûtait parfois très cher de se constituer protecteurs des arts.

Mais, pour grande que fût cette dépense, il serait puéril de la compter pour considérable, quand on voit celles qu’entraînaient les représentations elles-mêmes ; car l’on peut dire que s’il était dispendieux de payer les poètes, il était ruineux de faire jouer les drames. L’une des premières charges, — car Gilles les prenait toutes sur lui, — était d’habiller les acteurs, et, certes, le maréchal de Rais aimait trop ce qu’il y a de plus beau dans les ornements ; il se montrait trop prodigue dans les représentations, et nous savons trop également, par d’autres textes, qu’il n’achetait rien sinon à très haut prix, pour admettre qu’il ait pu lésiner sur ce point non plus que sur les autres. Mais, d’ailleurs, les documents sont explicites à ce sujet. Rien ne manquait au décor des représentations théâtrales, pas plus qu’à la pompe des cérémonies de sa chapelle ; chaque personnage avait son costume particulier, d’après son rôle et sa dignité. Reconnaissons, d’ailleurs, que les mendiants, les valets, « les bélistres », au mépris de la vérité historique et dramatique, n’étaient pas moins bien accoutrés que les rois et les grands ; car pour lui un mystère n’était pas seulement l’exposé de grands évé-

  1. M. Lecoy de la Marche, Le Roi René, t. 11, p. 143, 144.