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GILLES DE RAIS.

diant qui passe ? Ne sait-on pas que toute route est son chemin, tout abri sa maison, tout hôte charitable sa famille d’un jour ? il est pareil à l’oiseau nomade, que le chasseur tue impunément ; car le mendiant vagabond ne laisse guères plus de traces de ses pieds sur le chemin que l’oiseau voyageur ne laisse traces de ses ailes dans les airs. Ajoutez encore que beaucoup de ces petits pauvres étaient orphelins : qui songe à l’enfant, qui n’a plus ni son père ni sa mère et qui mendie son pain loin de son pays ? Personne donc ne s’inquiétait d’eux, s’il ne les voyait plus reparaître[1] ; car nul ne sait où va l’enfant qui n’a point de famille, au foyer de laquelle il puisse revenir quelquefois : l’horizon est si vaste ! les routes de l’air et de la liberté si nombreuses ! Que s’ils avaient encore leurs pères et leurs mères, ceux-ci ne s’occupaient d’eux qu’avec cette circonspection timide, que donnent d’ordinaire aux petites gens la pauvreté et l’habitude de trembler devant les grands et les riches[2].

Le plus souvent, c’était aux familiers du baron que revenait le soin de choisir les victimes ; quelquefois pourtant Gilles ne dédaignait pas de descendre lui-même jusque dans les préoccupations de ce choix[3]. Malheur à l’enfant qui s’offrait à sa vue, paré des charmes de la beauté ! S’il rencontrait sur son chemin une belle figure, il l’indiquait à ses hommes : le soir même, en échange de quelques sous d’or, d’un cheval ou d’un objet précieux, l’enfant lui était amené comme sa proie du jour[4]. Des croisées de son château, s’il apercevait dans la foule des pauvres, qui se pressaient aux portes, un enfant au teint frais, il faisait un signe ; sous un prétexte ou sous un autre, on éloignait le portier, dont on se méfiait, et l’enfant était introduit jusqu’à la chambre à coucher du baron, où se passait bientôt ce drame terrible, dont nous avons fait plus

  1. Enq. civ. du 18 sept. 1440, fo 315, ro.
  2. Proc. ecclés., Conf. de Poitou, p. lxxxvi. — Proc. civ., Conf. de Henriet, etc., fo 383, ro.
  3. Ibidem.
  4. Proc. civ., Conf. de Henriet, fo 383, ro. — Proc, civ., Conf. de Poitou, fo 392, ro.